La méditation, pour les vétérinaires aussi ?

La méditation de pleine conscience ne s’adresse pas à des personnes contemplatives, mais à des gens dans l’action, dans une vie engagée.

 » Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous » Etty Hillesum

Elle a toute sa place dans le management vétérinaire, profession d’échanges humains, très sollicitée dans sa pratique quotidienne, et où des décisions vitales sont à prendre toute la journée. Un vrai questionnement est nécessaire sur la manière dont nous avons organisé notre « vivre ensemble », et sur notre manière de ressentir notre métier.

La relation à soi, la gestion des émotions, la qualité de la relation, le respect de l’autre et la prise de décision sont au coeur de notre activité de médecine vétérinaire. La prévenance, la disponibilité et l’ouverture dans la communication sont essentielles au succès de notre entreprise. 

Même si la pleine conscience semble dans l’air du temps, elle reste un concept nouveau dans le monde du travail. Et l’idée de prendre un moment dans une journée de travail chargée pour s’asseoir en silence semble irrationnelle.

La pleine conscience est une manière de manifester sa bienveillance, son écoute et sa présence. La meilleure manière de montrer votre intérêt pour ces qualités est de les incarner.

La pleine conscience nous donne cette seconde d’avance, cet espace de liberté pour choisir comment orienter notre énergie mentale, choisir notre réaction face aux évènements, sortir des automatismes, et pouvoir être complètement attentif à la personne présente et à la tâche en cours.

Oui, mais la méditation c’est quoi ? Encore une lubie, une injonction à être heureux ?

C’est une pratique de conscience nue, consistant à porter son attention sans jugement sur l’instant présent. L’idée est de trouver un endroit de stabilité et de se poser au milieu de cette complexité.

La pratique spirituelle existe depuis plusieurs millénaires, et a commencé  à être intégrée dans le champ du développement personnel dans les années 60. Les scientifiques ont commencé à l’explorer dans les années 90 à l’aide, notamment, de la neuro-imagerie avec Richard Davidson et Matthieu Ricard. Le nombre de publications augmente chaque année, avec jusqu’à 350 publications en 2015.

Cet engouement correspond aussi à la montée de la digitalisation de nos vies, avec une invasion dans notre quotidien des écrans et des images. La méditation apparait alors comme une « médecine » du monde moderne face aux pressions qu’il nous fait subir. Nous recevons en moyenne 100 e-mails par jour, nous sommes sans arrêts distraits par des notifications.

Elle apparait comme un besoin de calme, de non exposition, comme une compensation de la trame de notre vie moderne et de son hyper-solicitation. Elle est en quelque sorte à notre cerveau ce que le sport est à notre corps.

La méditation est une présence au monde, en cessant de vouloir contrôler et maitriser. 

L’influence de nos propres conditionnements est tellement forte que nous pensons rarement que nous pouvons prendre du recul. Si nous pouvions prendre assez de recul sur les situations, nous verrions que chacun cherche, à sa façon, à trouver le bonheur. Et notre seule réaction au comportement d’autrui serait la compassion.

Notre esprit est la source de ce que nous vivons. Chaque personne ayant vécu une situation la racontera différemment. Lorsque l’on transforme son esprit, tout ce que l’on perçoit ou ressent est transformé en même temps. Que se passe-t-il quand vous commencez à comprendre que ce que vous vivez est le résultat de vos propres projections ?

Il y a de nombreuses idées reçues sur ce qu’est la méditation. 

  • « Faire le vide », faire le silence dans sa tête et faire taire le bavardage intérieur. Alors que quand on commence à méditer, on se rend compte du bavardage intérieur permanent, du tumulte de nos pensées et de l’instabilité de celles-ci. Faire taire nos pensées serait similaire à s’arrêter de respirer. On ne peut pas davantage arrêter ses pensées que les vagues d’un océan. C’est impossible. Par contre, on peut prendre du recul sur nos pensées, les regarder sans jugement, les laisser passer sans s’y accrocher.
  • « Se couper du monde », s’isoler, se construire une bulle dans laquelle on serait protégé du monde. Alors que le but de la méditation en occident est de nous aider à mieux vivre dans le monde, et non pas à se couper du monde. Au lieu de se couper de la vie, il s’agit d’apprendre à être en contact avec elle, à être présent différemment.
  • « Être zen et décontracté ». L’important n’est pas de s’empêcher de réagir au quotidien, mais d’éviter les dérapages. On réagit alors moins impulsivement, on rumine moins longtemps.

La méditation de pleine conscience  est une forme de méditation très particulière et simple. Elle consiste à être délibérément présent à ce que l’on est en train de vivre, à l’expérience du moment. C’est une chose que nous faisons rarement dans la journée.

Quand on est avec sa famille on pense au travail, quand on est au travail on pense à sa famille, pendant les loisirs on anticipe les contraintes à venir…

La méditation n’est pas une performance, on n’en attend rien de particulier, et on ne cherche pas à obtenir un état précis. Surtout, il n’y a pas de jugement. On ne peut pas la convoquer, comme on ne peut pas convoquer le sommeil, mais on peut se mettre dans des dispositions qui la favorisent.

Surtout, on ne juge pas sa performance, ou ses éventuelles distractions, mais, pour une fois, on se regarde avec bienveillance. On accepte ce qui vient. Il est important de se sentir libre, peu importe que la pratique soit bonne ou pas, l’essentiel est de vouloir méditer, cela suffit.

De même, on ne juge pas ses pensées, on ne se dit pas qu’elles sont indésirables, bien ou mal … on peut juste décider de s’y accrocher et de les suivre ou alors de les laisser aller.

C’est une attitude mentale inhabituelle, n’est-ce pas ?

La méditation n’est pas non plus une sorte d’outil destiné à augmenter nos performances, et sa récupération dans ce but est bien dommage.

D’accord, mais concrètement, ça apporte quoi ? 

1- L’entraînement attentionnel 

La méditation accroit l’activité de certaines zone cérébrales. Grâce à la neuroplasticité, des changements durables dans la manière de fonctionner du cerveau s’opèrent, et notamment, une augmentation des facultés attentionnelles (capacités à être concentré).

La facilité avec laquelle nos bonnes intentions et nos valeurs peuvent être bousculées par un simple sentiment d’urgence est déconcertante.

On ne peut pas décider du jour au lendemain d’être plus calme, plus attentif, mais on peut s’entraîner à acquérir des compétences qui ne dépendent pas de la volonté, mais d’un entrainement régulier, comme le sport.

Des exercices basés sur une attention à la respiration ou à son corps permettent de s’y familiariser.  Dans un premier temps on apprend à se connecter avec une attention focalisée (comme le souffle), puis, petit à petit, on ouvre son champ attentionnel pour une attention ouverte.

2- Recul envers nos pensées et ruminations

Une des sources les plus fréquentes de nos souffrances, ce ne sont pas forcément les problèmes qui nous arrivent, mais surtout notre rumination et le fait de focaliser notre attention dessus sans faire attention au reste. Il est important de savoir accorder suffisamment d’attention à nos sensations agréables aussi, et regarder nos ruminations sans nous y accrocher.

Tous ces exercices modifient peu à peu notre rapport au monde, notre capacité à accepter l’adversité, à profiter de chaque instant. C’est un outil inventé il y a 2500 ans qui continue à passionner les chercheurs.

3- Régulation des émotions et impulsions

En 2005, les chercheurs ont montré que chez des « méditants » réguliers il y avait un épaississement du tissu cérébral du cortex préfrontal gauche impliqué dans les processus cognitifs, émotionnels et le sentiment de bien-être.

Chacun de nous dispose d’un espace dans lequel il est souverain et où son libre arbitre peut s’exercer pleinement.

Une multitude d’actes automatiques parcourent notre journée. Combien de fois vous êtes vous demandé si vous aviez fermé le gaz, ou la porte ?

Plus on fait de la méditation, plus on se voit commencer à faire un bêtise. Elle permet de regarder ses émotions avant de céder à ses impulsions.

Prendre le temps de respirer, et écouter, le coeur ouvert, pour gérer les situations plus efficacement, sans qu’il y ait nécessairement un gagnant et un perdant.

4- Impact favorable sur la santé

Des études ont montré que la méditation augmentait la réponse en anticorps lors d’une vaccination anti grippale, que le cerveau vieillissait moins vite, que l’activité des télomérases augmentait. Ainsi, les chercheurs ont montré que la pratique méditative régulière engendrait un grossissement de l’hippocampe et un rétrécissement de l’amygdale (sensible à la peur).  En 2012, Eileen Luders s’est aussi aperçu, grâce à l’IRM de diffusion, que les fibres neuronales de personnes qui méditent sont plus nombreuses et plus denses entre les différentes régions cérébrales et qu’il y a déjà « considérablement » moins de perte liée à l’âge que chez des témoins.

J’espère que cet article vous aura plu 🙂

Auteur : Alexandra de Nazelle, Docteur vétérinaire
Date : Novembre 2018
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Bibliographie : 

-Se changer, changer le monde, Christophe André, Jon rabat-Zinn, Pierre Rabhi, Matthieu Ricard

-Le cerveau et la méditation, Dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences, Matthieu Ricard, Wolf Singer

-Une seconde d’avance, Travailler plus efficacement en pleine conscience, Rasmus Hougaard

– Bonheur de la méditation, Yongey Mingyour Rinpoché 

Antidepressant Monotherapy vs Sequential Pharmacotherapy and Mindfulness-Based Cognitive Therapy, or Placebo, for Relapse Prophylaxis in Recurrent Depression

Intensive meditation training, immune cell telomerase activity, and psychological mediators, Psychoneuroendocrinology, Volume 36, Issue 5, June 2011, Pages 664-681

Mindfulness and its relationship to emotional regulation, Hill

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Psychological and neural mechanisms of trait mindfulness in reducing depression vulnerability, Paul

Mindfulness Research Guide: a New Paradigm for Managing Empirical Health Information, Black