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Le désenchantement professionnel est au coeur des problématiques du monde vétérinaire.
Une étude très intéressante portant sur les limitations économiques des clients et leur conséquences sur l’opinion, le bien-être au travail et la médecine des vétérinaire a été effectuée sur 37 000 vétérinaires aux Etats-Unis et au Canada.
Kipperman and al., Factors that influence small animal veterinarians’ opinions and actions regarding cost of care and effects of economic limitations on patient care and outcome and professional career satisfaction and burnout, 2017, Journal of Am Vet Med Ass Vol 250, No.7, April 1
Qualité des soins versus budget
Cette étude pointe le fait que les limitations économiques des clients sont une importante source d’insatisfaction professionnelle et de burnout chez les vétérinaires, ceci aussi bien pour les généralistes que pour les spécialistes.
En effet, les vétérinaires doivent souvent faire face à un conflit entre leur désir d’offrir la meilleure médecine et qualité de soins à leurs petits patients, et l’impossibilité des clients à faire face à l’augmentation des coûts des soins vétérinaires.
Le budget est souvent un facteur limitant dans la qualité de la médicalisation qu’un vétérinaire peut proposer, et certains rapports suggèrent que des décisions d’euthanasie basées sur des motifs économiques seraient de plus en plus fréquentes.
Cependant, l’étude pointe un non-dit bien plus profond.
Les propriétaires considèrent que la médecine vétérinaire ne devrait pas être une profession où la question des coûts serait plus importante que le bien-être des animaux.
Paradoxalement, l’argent est un sujet important pour eux. Ils sont généralement insatisfaits de l’information délivrée sur les coûts de santé par les vétérinaires : ils attendent du vétérinaire une transparence et une annonce du budget bien plus tôt pendant la consultation, car ils estiment que les coûts seraient bien plus élevés que ceux attendus.
Pourquoi ce non-dit ?
Bien sûr, les vétérinaires ont une obligation éthique et légale de fournir une information éclairée à leur client, ce qui inclut les potentiels risques, bénéfices, mais aussi les coûts de la procédure envisagée. Alors que souvent, en humaine, la question des coûts n’entre pas dans la procédure de décision.
Le manque de temps est la raison principale évoquée par les vétérinaires pour ne pas aborder la question des coûts. (Le temps moyen de consultation étant de 17 minutes. )
La question se pose alors : les praticiens, clients, et animaux seraient-ils mieux servis par un allongement du temps allouée à certains rendez-vous sélectionnés, pour s’assurer d’aborder la question importante du budget des soins vétérinaires ?
Ce changement pourrait certes augmenter les dépenses à court terme mais être le début de plus grands bénéfices à long terme (aussi bien humains que financiers).
Le frein économique : source de mal-être pour les vétérinaires
Environ 1/3 des praticiens indiquent ne pas offrir le diagnostic ni le traitement idéal à leurs patients et sembleraient modifier leur avis médical sur la base des limitations économiques perçues de leur client.
Il est intéressant de noter que 74% des praticiens signalent qu’une aide financière (service de crédit) a amélioré leur capacité à prodiguer le soins médicaux qu’ils désiraient pour leurs patients, alors que 18% des praticiens n’avaient mis en place aucune facilité de payement ou de crédit disponible pour les clients en difficulté financière.
Dans l’étude, la majorité (76 % des répondants) expliquaient que moins de 5% des clients avaient une assurance pour leur animal, et qu’ils pensaient que le fait d’avoir une assurance serait bénéfique aussi bien pour les soins de médecine préventive et non préventive, que sur le stress financier des clients, la relation client-vétérinaire, et leur aptitude à prodiguer le traitement médical qu’ils jugeaient adapté pour leur patient. Ceci sans stress et avec une plus grande satisfaction de leur métier.
Accompagner le propriétaire, un travail d’équipe
La seconde raison invoquée pour ne pas aborder la question des coûts avec leurs clients est la croyance, assez pessimiste, que cela ne changerait de toute façon pas le comportement futur de leur client ou leur anticipation financière du problème.
Cependant trois quart des vétérinaires pensent qu’une éducation des clients sur les coûts possibles futurs vétérinaires serait positive sur la médecine prodiguée à leur patients, et 72% sont favorables à une modification du cursus en école vétérinaire pour y inclure des cours sur l’éducation des clients sur les coûts vétérinaires, ainsi que le développement de guides sur le sujet pour les premières visites de bonne santé.
Enfin, 6% des répondants indiquent que les organisations vétérinaires (comme l’Ordre ou les syndicats) devraient développer des campagnes d’information publique sur les coûts vétérinaires et 4% indiquent que c’est aussi une responsabilité du ressort des refuges et animaleries, avant l’adoption.
Concrètement, on fait quoi ?
Dans les faits, cet article fait ressortir l’intérêt dès le premier contact d’informer le propriétaire sur les maladies spécifiques à son animal (un Bouledogue ou un Sharpei sur les problèmes dermatologiques récurrents, ou le propriétaire de Persan sur la polykystose rénale…) mais aussi tout simplement sur la médecine préventive, et l’intérêt de dépister tôt des affections pour une meilleure qualité de vie et un accompagnement personnalisé de leur animal.
Les vétérinaires sont dotés d’outils et de connaissances permettant un suivi et un accompagnement personnalisé de chaque animal, c’est une grande richesse aussi bien médicale qu’humaine à partir de laquelle nous pouvons communiquer pour qu’elle ne soit plus vécue comme une contrainte pour le propriétaire mais comme une chance.
Le temps de consultation alloué à une meilleure communication avec le propriétaire scelle les bases d’une relation de confiance et d’écoute durable.
L’accompagnement du propriétaire dans son parcours de soin ne peut être que le résultat d’une stratégie d’entreprise avec un travail d’équipe autour du plan de santé. Cela implique de s’octroyer du temps pour développer l’offre de service et l’impact que cela peut avoir au niveau organisationnel.
Pendant très longtemps les vétérinaires ont répondu à la demande du client. Il est désormais de plus en plus important de répondre à ce qui pourrait être une demande du client : partager ses problèmes, ses inquiétudes et ses contraintes pour concevoir une solution spécifique et améliorer son ressenti.
La profession vétérinaire doit agir par des efforts concertés, aussi bien au niveau de la formation des étudiants que dans son organisation profonde pour informer les propriétaires et former les praticiens à communiquer sur le coût de leurs soins pour un meilleur épanouissement au travail, un meilleur soin prodigué au animaux, et moins de désenchantement professionnel.
Juillet 2018.
Alexandra de Nazelle, Docteur vétérinaire
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