Un article très intéressant paru en janvier 2019 dans le JAVMA intitulé « Suicide among veterinarians in the United States from 1979 through 2015 » (référence J Am Vet Med Assoc2019;254:104–112) traite du sujet sensible mais non moins primordial du mal-être et du taux de suicide particulièrement important dans cette profession.
De nombreuses études menées en Australie, Norvège et Royaume-Uni ont montré que le taux de suicides dans la profession vétérinaire était supérieur à la population générale.
En 2014, une étude menée aux USA sur 11 627 vétérinaire a par ailleurs montré que 9% de cette population présentaient une détresse psychologique sérieuse, 31% avaient connu un épisode dépressif, et 17% avaient pensé au suicide depuis leur sortie d’école. Tous ces éléments sont des marqueurs du risque du suicide, et tous étaient présents de manière plus importante chez les vétérinaires que dans la population générale.
D’autres études confirment cette tendance en décrivant de hauts niveaux d’anxiété, de dépression, et de fatigue empathique parmi les vétérinaires par rapport au reste de la population.
Cette nouvelle étude prend place pour établir un état des lieux suites à de nombreuse évolutions sociétales : que ce soit la féminisation de la profession ou la diminution de la part rurale dans l’exercice du praticien. En effet, en 2017 aux USA, plus de 75% des vétérinaires praticiens exerçaient en canine pure, alors que la profession était originellement plus masculine et rurale.
Cette étude montre malheureusement que, parmi les vétérinaire les hommes présentaient 2,1 fois plus de risque de suicide que le reste de la population. Les femmes 3,5 fois plus.
Cette proportion de suicides est souvent expliquée par l’accès facilité aux produits létaux, à la connaissance de l’usage des produits tranquillisants et au contact quotidien avec la mort.
De fait, les auteurs se sont penchés sur les méthodes de décès. Sûrement du fait de la législation américaine sur la détention d’armes , la méthode la plus commune était l’utilisation d’armes à feu (45%, surtout des hommes), suivie de près par les médicaments (39%, surtout des femme).
Dans la population américaine globale, les femmes sont plus enclines à envisager le suicide, mais les hommes passent davantage à l’acte. Cependant, hommes ou femmes, les vétérinaires envisagent le suicide davantage que le reste de la population.
Au-delà de l’accès à des toxiques, des études ont montré que la profession additionnait les facteurs favorisant un nombre aussi élevé de décès par suicide. Cela inclut les longues journées de travail, la surcharge de travail, le management, les attentes des clients et leurs plaintes, la pratique de l’acte d’euthanasie, et le maigre équilibre vie pro/vie perso, l’augmentation des coûts de structure, et l’isolation professionnelle.
Les écoles vétérinaires ont augmenté le nombre d’étudiants ces dernières décennies, augmentant le nombre de praticiens dans la population chaque année. L’attention au besoin d’un plus grand bien-être dans cette profession doit aller de pair avec cette augmentation d’effectif.
Travailler sur la mise en place de conditions de travail agréables, de formations permettant d’appréhender la souffrance empathique, des outils de gestion du stress et une offre de formation continue en management et en développement personnel pourraient aider à réduire le mal-être dans la profession et enrayer ce fort taux de suicide.
Promouvoir les échanges bienveillants entre confrères, l’aide à la résolution de problèmes (humains ou médicaux), à la détection au soutien de personnes fragiles sont des chantiers à diffuser et à incarner.
Ces études de plus en plus nombreuses nous alertent et nous questionnent sur l’avenir de notre profession. Plus que la gestion du court terme de notre quotidien de soignant, une vision claire de ce que nous souhaitons à moyen et long terme est souhaitable afin de mettre en place, ensemble, les outils pour un mieux-être au travail.
La bienveillance, la compassion, l’amour altruiste ne sont pas des vains mots. Si nous incarnons ces valeurs au quotidien pour nos patients, veillons à les appliquer à nous-même, à être vigilants au bien-être de nos confrères, de nos collègues, pour que ce rêve d’enfant ne devienne pas une souffrance puis un drame.
Alexandra de Nazelle, Docteur vétérinaire
Praticienne et consultante en management
Date : Janvier 2019
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